Le projet ¿ Ralentir ?, initié durant l’année scolaire 2023-2024, est une initiative innovante qui croise écriture, théâtre, musique instrumentale et électronique, tout en plaçant les élèves au cœur du processus créatif. Les élèves de seconde travailleront sur des textes rédigés par leurs camarades l’année précédente, qu’iels interpréteront et mettront en scène avec l’accompagnement d’artistes professionnel·les : Marc Perrin (poète et romancier), Julie De Bellis (comédienne et danseuse), Benoit Cancoin (contrebassiste) et Xavier Saïki (guitariste et spécialiste de musique assistée par ordinateur). En parallèle, les élèves de terminale option musique prendront en charge la dimension musicale du projet, en créant la bande sonore qui accompagnera la performance. Ce travail collaboratif permettra à chaque groupe d’explorer l’art de la mise en voix, en scène et en musique, donnant ainsi naissance à une œuvre collective pour la performance finale, prévue le 5 décembre.
Le 3 octobre, une performance inaugurale des artistes a eu lieu dans la salle polyvalente du lycée, devant environ 130 élèves. Cet événement a permis d’introduire le projet et d’inspirer les élèves participant·es.
Musique, poésie et politique improvisées
La performance, d’une trentaine de minutes, a mêlé poésie engagée et expérimentation sonore. Sur scène, Benoit Cancoin à la contrebasse et Xavier Saïki à la guitare préparée ont improvisé en utilisant des modes de jeu contemporains qui repoussent les limites des instruments traditionnels. Les possibilités de la guitare notamment, étaient décuplées par l’utilisation d’objets divers (mailloches, aimants, pinces, etc.). Leurs sons acoustiques étaient traités en direct pour créer des textures musicales inédites grâce à l’utilisation d’effets comme des filtres de fréquence. La diffusion d’enregistrements de sons du quotidien apportait en outre une dimension supplémentaire à l’univers sonore immersif dans lequel était plongée la salle polyvalente.
Marc Perrin, à la lecture de textes, participait à cette création en tant qu’auteur et lecteur, mais sa voix, presque instrumentale, ajoutait une nouvelle texture au matériau sonore de la performance, par sa lecture rythmée et musicale. Comme l’a souligné Xavier Saïki, l’improvisation, bien que spontanée, était ici le fruit d’une écoute attentive entre les artistes et d’une préparation minutieuse, permettant de faire évoluer chaque performance selon les ressentis du moment et les réactions du public.
Une poésie engagée et politique
Marc Perrin a lu des extraits de son manuscrit Des amours réelles, une œuvre qui se déroule dans un lycée et qui met en scène un groupe de jeunes filles en quête de libération. Ces dernières questionnent la domination à travers des actions militantes, en l’occurrence des collages féministes, et des réflexions sur leur condition. À travers une fiction à la frontière du réel et de la science-fiction, l’auteur aborde des questions de genre, de pouvoir et d’émancipation. Ce qui frappe dans ces textes, c’est la manière dont elle dépasse les banalités usuelles à propos des stéréotypes de genre (approche pertinente mais trop limitée) pour interroger plus en profondeur les systèmes de domination. Ici le genre est véritablement traité tel qu’il est défini par les chercheureuses en études sur le genre, à savoir un rapport de pouvoir.
Une phrase marquante revient à plusieurs reprises : « Nous serons des mendiantes tant que nous ne penserons pas la question du pouvoir ». Cette sentence incarne la réflexion centrale du récit : l’idée que, sans une remise en cause des rapports de pouvoir, toute tentative d’émancipation restera incomplète. Le texte évoque la prise de conscience collective de ces jeunes femmes, leur quête pour s’affranchir non seulement des structures sociales oppressives, mais aussi des mécanismes intérieurs qui les aliènent.
L’auteur opère une « ségrégation des genres » dans son texte, désignant filles et garçons comme des « races » distinctes. Ce choix linguistique, volontairement abrupt, interroge la manière dont les rapports de pouvoir divisent les individus en fonction de leur sexe et exacerbe les inégalités.
Les extraits lus du texte évoquent par ailleurs la remise en question de la naturalisation de certaines qualités attribuées aux femmes, l’écoute en particulier, qui, selon une protagoniste, devient une malédiction si elle n’est pas accompagnée de la parole. L’écoute, liée à la capacité de s’exprimer, devient ainsi une conquête pour atteindre l’égalité dans les relations humaines. Parallèlement, le récit interroge l’amour et ses liens avec les structures de pouvoir, abordant comment les relations amoureuses peuvent être tant un espace de lutte que de soumission. Les protagonistes réfléchissent à réinventer leurs rapports aux hommes et à leur rôle dans l’éducation au féminisme.
Ainsi, à travers une écriture poétique et une fiction qui flirte avec le réel et la science-fiction, Marc Perrin interroge les rapports de pouvoir, et la possibilité de l’émancipation. En abordant des thèmes multiples du féminisme contemporain, il ouvre des pistes de réflexion, notamment sur la non-mixité et la sororité comme pratiques essentielles pour déconstruire les structures d’oppression. Il offre ainsi une vision percutante et contemporaine des luttes féministes.
Échanges avec les élèves
À la fin de la performance, les artistes ont pu échanger avec les élèves sur leur performance en abordant notamment la question de l’improvisation et du matériau sonore.
Ils ont ensuite pris un temps avec les élèves de l’option musique pour évoquer les prochaines étapes du projet et les façons d’intégrer les différentes disciplines artistiques dans leur propre création. Cette rencontre a posé les bases d’une collaboration future, où les élèves seront amené·es à s’approprier les techniques vues lors de la performance pour créer leur propre œuvre en décembre.
Ce projet, véritable œuvre collective, va se construire sur plusieurs mois à travers des ateliers d’écriture, de mise en scène et de musique. Les élèves travailleront main dans la main avec les artistes pour produire une performance qui, à l’image de celle du 3 octobre, mêlera poésie, politique et improvisation musicale. Le résultat, attendu pour décembre, sera l’aboutissement de cette démarche transdisciplinaire, où chaque élève contribuera à façonner une œuvre unique, fruit d’une réflexion collective et d’une expérimentation artistique riche.
Dans cet extrait audio, Marc Perrin évoque la musicalité de sa lecture, son rapport à l’écriture de textes féministes en tant qu’homme blanc cisgenre hétérosexuel, ainsi que les raisons qui l’ont poussé à écrire ces textes.
Et voici un extrait vidéo de la performance :
Jasmine Trilland
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