Le 14 octobre 2024 à 12h30, un café philo ouvert à toustes les lycéen·nes a été organisé par Mme Peffen, M. Caille et M. Welcker, professeur·es de philosophie. Cet événement, qui se tiendra chaque trimestre, se veut un espace d’échange entre élèves, éloigné des cours traditionnels ou des conférences. Les professeur·es nourrissent les discussions à l’aide de textes philosophiques et d’extraits vidéo issus de l’actualité et de la pop culture, invitant ainsi les participant·es à réfléchir sur des questions contemporaines.

M. Welcker présente les cafés philo :

L’intitulé de cette séance, volontairement provocateur, était « Faut-il achever la démocratie ? ». La discussion a été amorcée par un sujet d’actualité : la dissolution de l’Assemblée nationale et la nomination de Michel Barnier comme premier ministre. Certain·es élèves ont noté que, si la décision d’Emmanuel Macron était légale, elle soulevait des questions de légitimité et d’éthique, entraînant un débat sur la nature même de la démocratie.

Réflexions sur la démocratie

Les professeur·es ont proposé de prendre du recul sur l’actualité et d’explorer diverses conceptions de la démocratie. Un exemple éclairant a été fourni par le système suisse, qui privilégie une démocratie plus directe, permettant aux citoyen·nes d’intervenir plus fréquemment dans les décisions politiques. Cela a suscité le débat sur la nécessité de remettre en question seulement notre système actuel ou de réévaluer la notion même de démocratie.

Les élèves participant·es ont observé que la démocratie repose sur une fiction de représentation, et qu’il existe une crise de confiance envers les institutions.

Ont également été abordées les critiques de la démocratie directe, notamment ses difficultés techniques, comme la lenteur des décisions. L’une des critiques majeures évoquées était celle de Platon, qui pose la question centrale suivante : Le peuple est-il vraiment apte à gouverner ? Platon soulignait le risque d’incompétence et de manipulation du peuple par les personnes maitrisant l’art de la rhétorique, posant ainsi notamment la question de l’éducation nécessaire pour une gouvernance éclairée.

Technocratie ?

Le débat a conduit à la question suivante : la société doit-elle être dirigée par des expert·es, créant ainsi une forme de technocratie ? Les risques de corruption et la défiance du peuple envers les expert·es ont été soulevés.

Manipulation médiatique

Une autre piste de réflexion a été la manipulation médiatique, avec une référence au livre de Noam Chomsky sur la propagande et le rôle des médias dans la démocratie. Le film Les nouveaux chiens de garde, qui dénonce l’illusion d’une presse indépendante et pluraliste, révélant comment les médias, contrôlés par des intérêts industriels et financiers, servent en réalité de gardiens de l’ordre établi, compromettant ainsi la démocratie en produisant une information biaisée et marchande, a été recommandé aux élèves.

Démagogie

À partir des écrits de Tocqueville, la question de la démagogie a été examinée. Selon lui, la démocratie menace le libre arbitre en adoptant des pratiques démagogiques, et il postulait que cela pourrait conduire à un individualisme, une hypothèse qui s’est avérée exacte. Il parle de « despotisme doux », soulignant par ailleurs que la démocratie pourrait engendrer un certain immobilisme.

Vers une fascisation ?

Les professeur·es ont mis en lumière des caractéristiques d’une politique fasciste, à partir de la définition de Jason Stanley dans Les ressorts du fascisme, qu’il définit comme telle :

« La politique fasciste repose sur plusieurs stratégies distinctes : la  référence à un passé mythique, la propagande, l’anti-intellectualisme, la démolition de notre compréhension partagée de la réalité, la défense d’une vision hiérarchisée de la société, l’adoption d’une posture victimaire, la politique sécuritaire, l’exploitation du sentiment d’insécurité sexuelle, l’invocation des valeurs de la ruralité, ainsi que le démantèlement du service public qui conduit à la perte du sens de la solidarité sociale […], sa tendance à déshumaniser des segments entiers de la population. »

Les participant·es ont fait le constat que plusieurs de ces caractéristiques étaient déjà observables dans notre société.

Il a été relevé qu’il est essentiel de remettre en question la vision linéaire de l’histoire comme un progrès ininterrompu. Cette conception peut nous rendre vulnérables à la résurgence de mouvements comme le fascisme, en nous faisant ignorer les tendances qui persistent et coexistent dans notre société.

Les professeur·es ont illustré le propos en passant un extrait de la série Le Problème à trois corps, qui met en scène une révolution aux accents fascistes, où l’on observe des manipulations de la vérité, la désignation de boucs émissaires, et la mise en scène de la foule comme tribunal populaire illusoire.

Ces réflexions ont permis d’établir une idée centrale. En effet, bien que la démocratie soit un système souhaitable, elle n’est pas à l’abri des dérives autoritaires.

L’importance de l’éducation et de la vigilance

Le rôle de l’éducation dans la prévention des dérives démocratiques a été évoqué. Un film, La Vague, a également été recommandé pour illustrer la manière dont des mouvements autoritaires peuvent émerger progressivement.

Les participant·es ont également fait un point pour définir clairement les nuances entre fascisme, autoritarisme et totalitarisme :

Le fascisme se caractérise par un nationalisme exacerbé, un mépris pour la démocratie et l’utilisation de la violence pour atteindre ses objectifs, souvent avec un fort contrôle social et une propagande. L’autoritarisme, en revanche, désigne un régime où le pouvoir est concentré entre les mains d’un leader ou d’un petit groupe, tandis que le totalitarisme cherche à contrôler tous les aspects de la vie publique et privée, imposant une idéologie unique et supprimant toute opposition.

Enfin, des extraits de la série La Servante écarlate ont été diffusés. Cette série, bien que centrée sur un régime théocratique, illustre les dangers d’un contrôle totalitaire et l’érosion progressive et insidieuse des libertés individuelles, à laquelle il faut rester extrêmement vigilant·es.

Conclusion

Le café philo a mis en lumière la nécessité de ne pas achever la démocratie bien sûr, mais plutôt de s’en méfier. Les réflexions ont souligné l’importance d’un engagement citoyen éclairé et d’une vigilance constante face aux dérives potentielles des systèmes démocratiques. Ce fut un échange riche et stimulant, qui a permis aux élèves de réfléchir à la complexité de la démocratie aujourd’hui.

Les élèves sont invité·es à suggérer les thèmes des prochains cafés philo.

Résumé de la séance par M. Welcker :

Bibliographie partielle :  

  • CHOMSKY Noam et McCHESNEY Robert. Propagande, Médias et Démocratie. Éd. Ecosociété, 2004.
  • PLATON. La République. (IV av).
  • STANLEY, Jason. Les ressorts du fascisme. Éliott Éditions, 2022.
  • TOCQUEVILLE, Alexis de. De la démocratie en Amérique. 1835.

Films et séries :

  • La Servante écarlate, 2017 -.
  • La Vague, 2008.
  • Le problème à trois corps, 2024 -.
  • Les Nouveaux chiens de garde, 2011.

Jasmine Trilland